L'amour aveugle by Patrick Cauvin

L'amour aveugle by Patrick Cauvin

Auteur:Patrick Cauvin [Cauvin, Patrick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782253029724
Éditeur: JC Lattès
Publié: 1974-04-27T22:00:00+00:00


PAMELA

« HÉ les mecs, y’a Cancrelas qu’a piqué des clous ! »

Cancrelas me déboule dans les jambes, je serre sur Laura qui heurte la palissade et se colle de la peinture fraîche de l’épaule au coude.

« Zut, ne touche pas, tu as de la peinture sur la chemise. »

C’est la chemise de Menton, la bleue avec les surpiqûres.

« Beaucoup ?

— Pas mal, oui. »

Deux planches disjointes pivotent et trois gosses en sortent. La grande a des chaussettes-accordéon, des fesses de grenouille et des taches de rousseur. Les deux garçons sont recouverts d’une telle couche de crasse qu’il est difficile de savoir où finit la peau et où commence le tee-shirt.

« V’z’avez pas vu un garçon qui courait ?

— Si, il m’est rentré dedans et vous voyez le résultat. »

Les mômes louchent avec ensemble vers le bras bariolé de Laura.

« C’est Cancrelas qu’a fait ça, dit Crasseux Premier, à nous y nous pique des clous.

— C’est vrai, dit la grande, il est dingue ce mec. »

J’ai déjà entendu ça quelque part.

« Paméla, dit Crasseux Second, y faudrait de l’essence de téréb. Ça fait barrer la barbouille.

— Je sais bien, dit Laura, mais où voulez-vous que j’en trouve ?

— On en a, dit Crasseux Premier, c’est pourquoi qu’on vous en causait. »

Nous sommes entrés à l’intérieur du chantier.

J’en avais vaguement entendu parler dans des journaux, je me suis même souvenu d’une photo qui illustrait un article : c’était un terrain vague avec des baraques, un quadrilatère de misère enclos entre de hauts murs d’immeubles, noirs et délabrés, un fond de puits où l’on ne pouvait avancer qu’en escaladant des madriers, en contournant des tôles ondulées, en passant sous des planches et en marchant sur des gosses qui tapaient au marteau à tour de bras, foraient, peignaient, soulevaient et hurlaient.

C’était une expérience de psychologues de gauche, je ne savais pas ce que ça valait mais, en tout cas, les mômes s’amusaient bien. Les vacances se déroulaient là pour eux, en plein quatrième arrondissement. Ils fabriquaient des cabanes, les démontaient, peignaient les palissades, les murs, les briques, la terre, il en grouillait partout.

Ils venaient droit sur nous : deux loupiots gras comme des ablettes, chacun à un bout d’un madrier. J’ai garé Laura contre une plaque de fibrociment pour les laisser passer.

Paméla, la fille en chaussettes, s’est retournée à ce moment-là. Elle est venue vers nous. Elle a un menton pointu comme une lame de canif.

« Vous y voyez pas, m’dam’?

— Non, dit Laura, je suis aveugle. Comment appelles-tu ?

— Paméla. Donnez-moi la main, l’monsieur vous tient de l’aut’côté. »

On a avancé comme ça de quelques dizaines de mètres.

Les deux Crasseux ouvraient le chemin devant comme deux motards devant une voiture officielle.

« Faites gaffe les mecs, la dame elle est aveug’. »

Il y en a bien vingt-cinq autour de nous à présent.

« C’est la gloire », dit Laura.

On est assis sur un tas de pavés qui ressemble à une barricade écroulée.

Paméla a tendu un litre à demi plein d’un liquide incolore et puis un barbu a fendu la foule.



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